ϟNTENTϟONS

 

 

« Il nous faut inventer de nouveaux récits ».

Donna Haraway, in Story Telling for Earthly Survival, Fabrizio Terranova, 2016

 

 

La nécessité de ces « nouveaux récits » qu’évoque Donna Haraway est aujourd’hui largement reconnue. Pourtant, qu’il est difficile de s’extraire des récits du capitalocène dans lesquels nous baignons, et d’imaginer un futur désirable ! Les dystopies aux discours fatalistes ou infantilisants ; les imaginaires d’un futur désespérant à base de contrôle sociale et de technologie hégémonique ; les films catastrophe où une poignée d’hommes providentiels hors-normes sauvent le monde à grands renforts d’armes surpuissantes ou de superpouvoirs… 

 

À partir de ce désir, l’idée d’Étincelles est venu de la lecture d’un essai, A Paradise built in Hell: The Extraordinary Communities that arise in Disaster. L’autrice, Rebecca Solnit, y raconte comment les grandes catastrophes (tremblements de terre, raz-de-marée, effondrement des tours jumelles…) provoquent une suspension du quotidien, une redistribution radicale des cartes et des valeurs, et sont le théâtre d’une grande solidarité. Une image de la « nature  humaine » à mille lieues de l’individualisme qui sature nos imaginaires.

 

       Rebecca Solnit, autrice de 'A Paradise built in Hell'    Donna Haraway

                                                                                                                                    Sous le haut patronage de Rebecca Solnit et Donna Haraway

 

De là est née l’idée du Black-out, une « catastrophe » à l’échelle continentale, qui sape d’un seul coup toutes les structures du pouvoir en place. Et nous avons conçu un récit qui, au lieu de nous condamner au désastre ou à attendre passivement que le salut vienne d’en haut, affirme la force du collectif face à l’adversité. Nous savons qu’il nous faudra un jour inventer des sociétés sans pétrole (et que le plus tôt sera le mieux…). Grâce à la fiction, ce défi est condensé en quelques jours décisifs : et si tout s’arrêtait, comment ferions-nous ? Et comment reconstruire le monde ?

 

L’utopie nous semble nécessaire parce que pour faire advenir un monde meilleur nous avons besoin de pouvoir le rêver d’abord, et nos imaginaires sont saturés de récits ne nous laissent imaginer que le désastre. «We need to know where we’d like to go.» : nous avons besoin de savoir où nous voulons aller, disait Ernest Callenbach, auteur de Ecotopia (1975). Mais attention, il ne s’agit pas ici d’un doux rêve, mais bien d’une démarche spéculative puisant dans le réel et s’y confrontant toujours. La solidarité suscitée par le Black-out s’entrechoque avec les systèmes de domination et de pouvoir en place. 

 

Dans Don’t Look up, qui illustre la défaillance des puissants face au danger commun, rien n’est dit du peuple, les enjeux se plaçant à des échelles de pouvoir qui l’excluent d’emblée. À l’heure où l’inaction criminelle de ceux qui nous gouvernent mène à toujours plus d’inégalités sociales tandis que chaque jour précipite un peu plus la crise climatique, nous savons que ce n’est pas des puissant·es que viendra la solution, et souhaitons mettre en scène une histoire à taille humaine. Au lieu de se concentrer sur un protagoniste unique et exceptionnel, Étincelles donne la parole à une multiplicité de personnages qui ont su s’organiser et s’entraider face à une crise inouïe et une répression destructrice.