LE FϟLM

 

 

« Le monde d’aujourd’hui est tellement différent de ce qu’il était il y a 25 ans. C’est fou… Un quart de siècle, ce n’est pas si long, et pourtant, quand j’y pense, j’ai l’impression d’avoir changé de planète.

 

Ça fait tellement bizarre de repenser aux années 2020… 

 

Ces souvenirs de mon enfance m’apparaissent parfois tellement lointains que c’est comme s’ils étaient devenus irréels. Je suis masseuse, agricultrice, comédienne, parfois nounou : pas vraiment ce à quoi l’école me destinait à l’époque ! L’autre jour, j’essayais de raconter à ma nièce, cinq ans et demi, à quoi ça ressemblait quand j’avais son âge, et elle m’a demandé de sa petite voix innocente “Toi aussi, tu étais dépendante aux énergies fossiles ?”. Dépendante aux énergies fossiles… L’expression qui est sur toutes les lèvres pour parler du début du siècle – on a dû la lui apprendre à l’école. Eh oui, moi aussi et comme tout le monde, j’étais “dépendante aux énergies fossiles”.

 

 

 

 

Mais est-ce que ces quelques mots suffisent pour imaginer la détresse que c’était, le soir du 22 juillet 2025, quand, dans l’obscurité de l’appartement, mon GSM affichait “Pas de signal” ? Toute ma vie, les écrans m’avaient accompagnée, tablette, ordinateur, téléphone. Je râlais quand il n’y avait pas de 5G pour regarder une série en HD dans la voiture. “Pas de signal”, ça n’arrivait qu’en vacances au fin fond de la campagne, et encore, en se collant à la fenêtre, en grimpant sur un muret, on finissait toujours par trouver un petit peu de réseau. Mais pas le 22 juillet 2025. Comment ma nièce pourrait-elle imaginer le choc, la peur provoqués par ces trois mots, par la répétition de ces trois mots, sur mon GSM, sur celui de mon ami Inès, ceux de mes parents, de tous mes voisins, de toute la ville, de tout le pays, de tout le continent où plus un ampère ne circulait ?

 

Un concours de circonstances statistiquement improbable, incidents simultanés dans des centrales stratégiques, avait conduit à l’effondrement du réseau électrique européen, hyper-intriqué et déjà fragilisé par les incendies qui ravageaient le sud du continent. Face à ces contraintes technologiques tellement complexes, il faudrait des semaines et peut-être des mois pour relancer les centrales, une par une.

 

Ça, évidemment, nous ne le savions pas encore. Nous ne savions pas non plus comment l’effervescence citoyenne pour gérer la crise allait tous nous transformer et avec elle, la société cynique et destructrice que nous avions tolérée jusqu’alors… »

 

 

Illustration Daria Gatti

 

 

Myriam, qui avait 15 ans en 2025, se souvient du Black-out qui a privé l’Europe d’électricité pendant plusieurs semaines. Un quart de siècle plus tard, elle part à la rencontre des personnes avec qui elle a vécu ces événements historiques. 

 

Il y a Ali, restaurateur qui déjà en 2025 cuisinait dans la cantine solidaire où Myriam a rencontré beaucoup de ses ami·es de cette période ; Dennis, acteur de cinéma connu, et Andréa, metteuse en scène de théâtre et féministe intraitable ; Diana, sans-papiers rapidement devenue greffière des assemblées populaires ; Aurore, agent de police ; Ernest, kinésithérapeute, et Daria, sa fille, qui dessine ses souvenirs de cette période qui a marqué son enfance… 

 

Ensemble, iels se remémorent leur désarroi en ce 22 juillet 2025, la peur, la disparition abrupte des repères du quotidien, mais aussi la joie paradoxale et émancipatrice de l’entraide.

 

Iels racontent comment leur vie a changé, radicalement, du jour au lendemain ; comment iels se sont organisé·es pour parer aux besoins les plus urgents et les plus essentiels.

 

Iels se souviennent de la violence du rationnement et des réquisitions, du spectre de la dictature, de leurs angoisses, de leur colère

 

Et comment leur monde est né des cendres du nôtre.